Règle n°1
ANTICIPER
Avant de reprendre un cabinet, il est primordial de réaliser un diagnostic social, d’analyser les dispositions sociales, les contrats de travail, les compétences détenues et le niveau d’engagement des collaborateurs, le climat social… « Dans le cadre du rapprochement de
deux équipes, cela permettra de mesurer les éventuels écarts en terme de culture d’entreprise, et d’anticiper les actions à mener pour les harmoniser. - explique Sandra Prezelus, DRH à temps partagé et associée de b-ready.
Très concrètement, la reprise ne pourra pas se faire sereinement si une partie de l’équipe bénéficie d’un statut social plus avantageux et que rien n’est entrepris pour lisser les différences. » « Il ne faut pas sous-estimer le coût que peut représenter l’alignement
des spécificités sociales (contrats, avantages…), complète Gilles Bösiger, expert-comptable, qui a repris – avec ses associés – 6 cabinets. Si les écarts sont trop grands, il vaut mieux parfois abandonner le projet de reprise.
En amont, le cédant doit également prendre le temps de détailler au repreneur les personnes et les compétences- clés de l’organisation, ainsi que les méthodologies
de travail, le mode de management…
« Tous les experts-comptables ne mettent pas la même fonction derrière un titre, précise Sandra Prezelus : il faut donc prendre le temps de décrire le rôle de chaque collaborateur,
les attendus sur le poste, la méthodologie de travail, les niveaux de validation, le type de relations avec les clients… pour chaque cabinet. »
Ce travail doit absolument être fait avant que la reprise n’ait lieu officiellement : « Trop souvent, les dirigeants pensent que ce sera plus simple pour eux de faire ce travail quand ils auront pris leurs fonctions, alertent Christel de Bethmann et Estelle Mironesco, coachs de dirigeants et fondatrice d’Origata Transmission. En réalité, dès que la reprise est
actée, le nouveau dirigeant est aspiré dans la gestion des dossiers, les clients, les enjeux business, il n’a plus le temps de se poser pour analyser la situation et réfléchir aux solutions RH à mettre en place. »
Cette étape fondamentale d’échanges entre cédant et repreneur permet de bien se mettre au clair sur les étapes de la passation, la durée de la cohabitation, le rôle de chacun pendant la transition. « Il faut communiquer avant, pendant et après le rapprochement. Les choses doivent être dites, et même écrites parfois, pour apporter de la transparence, rassurer, éviter les malentendus et la confusion au sein des équipes. Les rôles de chacun des associés doivent notamment être définis.
Il n’y a rien de pire que les transitions dans lesquelles les collaborateurs se retrouvent pris « entre papa et maman », sans savoir à qui référer ni quelles directives écouter », renchérit Sandra Prezelus. Une transition qui ne se passe pas comme prévu, Gilles Bösiger l’a expérimenté une fois : « Nous nous étions mis d’accord en amont, mais sans être assez précis. Le cédant espérait au fond garder un rôle plus important dans la nouvelle organisation, mais il ne l’avait pas exprimé clairement en amont. Cela a généré beaucoup de tensions dans les équipes, et entre nous.
D’où l’importance de mettre vraiment tous les sujets sur la table avant la signature. »
Règle n°2
COMMUNIQUER
On ne le dira jamais assez : pour qu’une reprise de cabinets se passe bien, il faut prendre le temps d’en parler avec les collaborateurs. « Parfois, - explique Sandra
Prezelus - les dirigeants de cabinets ont peur de parler de leur projet de cession ou de reprise à leurs collaborateurs. Peur de leurs réactions, peur de décevoir, de ne pas trouver les mots…
Alors certains procrastinent et finissent par commettre des maladresses qu’on met ensuite du temps à rattraper (j’ai vu un expert-comptable annoncer à son équipe sur Slack la transmission de son cabinet !). » Au contraire, il est bon qu’un dirigeant de
cabinet prépare les esprits dès qu’il commence à réfléchir à l’avenir du cabinet et informe l’ensemble des équipes dès que la transaction est actée : « je conseille de passer d’abord par une information collective, pour limiter les ragots et les fantasmes, puis de se mettre à la disposition de chaque collaborateur individuellement, pour répondre aux questions et aux inquiétudes. »
« Le repreneur doit partager sa vision : comment il voit l’avenir du cabinet, quelle va être sa stratégie, son organisation, ce qui est important pour lui dans la pérennisation du cabinet… » complètent Christel de Bethmann et Estelle Mironesco. Il doit savoir rassurer sur le fait qu’il tiendra compte de l’histoire du cabinet, tout en expliquant concrètement ce qui va changer. »
« Les collaborateurs ont besoin de sens, insiste Gilles Bösiger : pourquoi reprendre ce cabinet ? à quelle stratégie cela répond ? - et aussi de repères temporels – quelles sont les grandes étapes ? quand auront-lieu les grands changements ?... »
Il s’agit donc de bâtir un véritable plan de communication interne, qui commence en amont de la reprise et se poursuit durant un an. « Pendant les mois qui suivent son installation, le repreneur doit être attentif à ce que les collaborateurs trouvent leurs marques, à laisser la porte ouverte à ceux qui auraient besoin d’en parler, et même aller au-devant de ceux qu’il sentirait moins engagés », conclut Christel de Bethmann.
Règle n°3
EMBARQUER LES ÉQUIPES
Une des règles d’or de la conduite du changement, consiste à faire participer les collaborateurs. « Les équipes trouveront toujours quelque chose à redire à la nouvelle organisation et aux process que vous mettrez en place si vous leur imposez » affirme Sandra Prezelus.
C’est pourquoi elle recommande la mise en place de chantiers de travail transverses, qui permettront aux équipes des deux entités d’apprendre à se connaître et à élaborer ensemble des propositions pour répondre à une problématique donnée. « On peut commencer par des sujets assez légers et sans enjeu business, comme par exemple l’organisation d’un prochain séminaire, la mise au point d’une charte sur les règles de vie au sein du cabinet, puis on peut ensuite aller vers des sujets plus techniques et travailler ensemble sur la définition d’une méthodologie de travail, le choix d’un nouvel outil pour le cabinet… ». En impliquant et en responsabilisant vos collaborateurs dans la mise en œuvre de votre stratégie, il y a beaucoup plus de chance qu’ils aient envie de s’engager avec vous dans la réussite de cette nouvelle aventure.
Règle n°4
CRÉER DE LA COHÉSION
La cohésion entre vos équipes passera par la réalisation de projets communs, mais aussi par le partage de moments de détente. « Pour créer une culture d’entreprise forte, il faut que vos collaborateurs vivent des expériences positives ensemble », affirme Sandra Prezelus.
Au-delà des chantiers et des ateliers qui permettent de travailler ensemble, l’organisation d’un teambuilding peut permettre de créer des liens. « Attention toute-fois, nuance-t-elle, il faut choisir le bon timing et inscrire ces moments sympathiques dans une stratégie plus globale. »
En d’autres termes, si la communication interne a été négligée depuis le début de l’opération de reprise, si les crispations ont déjà commencé à s’installer, personne ne sera dupe de l’organisation d’une soirée festive, l’ambiance ne prendra pas. «
Il faut avoir en tête que lors d’un changement de dirigeant, les collaborateurs vont passer par les 7 étapes de la fameuse courbe du deuil : choc, déni, colère, peur, tristesse, acceptation, pardon, quête de sens et renouveau, sérénité et croissance. » D’où l’importance d’être à l’écoute et
d’accueillir les ressentis de chacun. « Si vos collaborateurs ont l’impression de ne pas être entendus, et qu’ils restent bloqués à l’étape de la colère, la cohésion mettra plus de temps à s’installer », résume Sandra Prezelus.
Bien sûr, la cohésion s’installera beaucoup plus vite, si les nouveaux collaborateurs sont tous réunis géographiquement, partagent les mêmes bureaux. « Dès le premier jour de leur arrivée, précise Gilles Bösiger, nous ne faisons plus de différence entre les équipes, tout le monde fait partie de la même maison, participe aux mêmes réunions… Les managers sont mobilisés pour veiller à l’intégration de tous, et permettent aux uns et aux autres d’apprendre à se connaître. »
Une nuance toutefois : « il faut faire attention à ne pas aller trop vite,
à ne pas brûler les étapes. Par exemple, attendre un premier temps d’acclimatation avant d’imposer un nouveau logiciel et de changer radicalement des méthodes de travail. »
Règle n°5
SE FAIRE ACCOMPAGNER
Respecter toutes les règles de l’art pour réussir sa reprise prend du temps et demande beaucoup d’énergie.
C’est pourquoi il ne faut pas hésiter à se faire accompagner.
S’appuyer sur un consultant ou un coach externe à l’organisation permet de prendre de la hauteur et de bénéficier d’un regard plus objectif sur la situation. « En début d’accompagnement, on fixe avec le dirigeant un objectif précis et une feuille de route, explique l’équipe d’Origata Transmission. Avoir des rendez-vous réguliers avec nous permet à nos clients d’être sûrs de ménager du temps pour les questions de management et d’organisation et d’éviter de se laisser embarquer par les urgences du quotidien. » « Contrairement aux idées reçues, l’accompagnement ne représente pas obligatoirement un budget colossal, complète Sandra Prezelus, et cela permet le prévenir les difficultés chronophages et coûteuses : climat social tendu, démissions, arrêts maladie en cascade et la baisse de productivité qui va avec. » De la même façon, on ne peut que vous recommander d’entreprendre cet accompagnement le plus tôt possible : « le plus souvent, on nous contacte quand le climat est déjà tendu et la situation dégradée. Il est toujours temps d’agir et de mettre en place des actions correctives, plus l’action est efficace et plus on évite les difficultés. » « À l’inverse, s’inquiète Christel de Bethmann, si le repreneur sous-estime les risques liés au changement de direction, que le climat social se tend, l’entreprise peut perdre de la valeur dès la première année. »
Pourquoi reprendre un cabinet?
« Nous avons repris 4 cabinets en un an, puis d’autres sociétés au cours des 4 années suivantes, et sommes ainsi passé de 4 à 40 collaborateurs en 6 ans.
Nous n’aurions jamais pu avoir une croissance aussi rapide sans ces opérations. Cela nous a permis d’intégrer un nouveau profil de clients, de récupérer des mandats
de commissariat aux comptes, de proposer un autre type de missions…
De ces expériences, je tire une règle d’or : com-muni-quer ! Communiquer avec le cédant en amont, pour vérifier qu’on est parfaitement aligné, communiquer avec les équipes, communiquer avec les clients… Le gros enjeu, quand on reprend un cabinet, est de fidéliser les collaborateurs.
Pour cela, il est essentiel de leur donner du sens et leur donner envie de s’embarquer dans l’aventure, avec une marque employeur solide. »
Le francilien n°116- Gilles BOSIGER, expert-comptable, commissaire aux comptes et secrétaire de la CRCC de PARIS